Orogenèse contrastée

Peu après le léger pandemonium provoqué par les lubies graveleuses de Braquenoard, Venus avait préparé son sac avec soin, se décidant à une petite escapade loin de l'agitation et des odeurs nauséeuses de ses pairs en campement.

L'entomophage, peu avant l'aube naissante, avait réveillé Dagan de quelques gouttes d'eau sur son crasseux visage. Les deux compagnons, depuis leur première rencontre, s'étaient entichés l'un l'autre, non seulement pour des raisons purement physiques dont nous nous passerons ici de détails, mais aussi, peut être, parce qu'ils s'étaient connus avant même tous les autres. Première approche "humaine" dans un coin de marais sordide alors que, d'une part et d'autre de la vaste étendue désertique et désolée que Flytrap nommait Nova Gaïa, des survivants semblaient sortir par grosses grappes éparses de la terre stérile...

En passant près de la couche de Baldi, elle y laissa l'arme de poing dans une des bottes traînant là avant de partir avec son cow-boy, sans un mot pour ses compagnons de route.

Sur le triste chemin, le couple marchait pour la première fois d'un pas assez lent, comme si le temps s'était soudain distendu. De gros flocons de cendre, étrangement humides, tombaient du ciel sans discontinuer. Quand ils venaient épouser la peau des survivants, une épaisse flaque tachetée se formait aussitôt sur l'épiderme, laissant bien des lavages après quelques traces ineffables. Le phénomène se produisait parfois dans les quelques humeurs livides du petit matin, et, quand la fange toxique s'échappait ainsi des cieux, la Déesse Purulente, insomniaque patentée, se retrouvait soudain affligée d'une muette nostalgie.

Mais ici, sur l'autoroute décédée où agonisaient quelques vestiges automobiles de l'Avant, la mélancolie se faisait chantante. Tenant la main de Dagan à la manière d'une enfant, elle avançait, comme entourée d'un halo de candeur. Sa chaîne aux pieds dessinait derrière elle d'éphémères sillons dans la poussière acre recouvrant l'asphalte. Au loin se profilait les dômes de pierres volcaniques, figés dans le paysage, nature morte géologique. Et la comptine montait au ciel alors que, indifférent, il vomissait allègrement sa neige infâme...

Rossignol joli,
Do, si, do, ré, mi
Joli rossignol,
Mi, fa, mi, fa, sol,
Rossignol cendré,
Fa, sol, fa, mi, ré,
Fait chanter l'écho,
Fa, sol, mi, ré, do.


(De ses moments de grâce n'en restera bientôt qu'une plaie ouverte. Ici, le compteur se plaît à évider d'abord la naïve beauté de ce siècle damné avant d'en dévoiler toute l'immondice, chargée de violence sourde et de meurtre arbitraire, de torture dérisoire et d'aliénation choisie.)