Charité quand tu nous tiens...

**Marieke** Dim 8 Nov - 23:15

Marieke avait bravement fait c'qu'on lui avait dit. Pris c'qu'on lui avait dit de prendre. Rejoint ceux qu'on lui avait dit de rejoindre. Attendu là où on lui avait dit d'attendre.

Mais elle s'ennuyait la môme. Et pas qu'un peu. L'avait fait le tour des groupes, à la recherche de sa Peste. L'avait pas trouvée. L'aurait bien demandé au vieux Jango, mais il était déja parti avec sa troupe en éclaireur... éclaireur d'où, ça elle savait pas, on lui avait pas dit... p'têtre bien qu'ils allaient retrouver la Dame Vénus, et surtout, sa Peste...

Comme de toute façon, elle allait pas avoir de réponse, elle avait décidé de retourner attendre là où on lui avait dit d'attendre... assise à même le sol, les fesses dans la boue, un peu à l'écart des autres... occupée à chantonner, les yeux fermés et la tête qui dodelinait ...

Des plaintes...
Un peu sur sa droite. En arrière.
Elle arrêta de chantonner et tourna ses deux yeux gris dans la direction d'où ça venait. Peut-être le vent... ?
Des plaintes. Encore.

Marieke posa son barda sur le sol, se mit à quatre pattes et rampa dans la nuit et dans la fange vers le bruit irritant. Quelques mètres pour découvrir un corps allongé sur le sol. Un gars. L'avait pas l'air bien. La tronche engluée dans la boue sordide du marais. Voila pourquoi elle l'avait à peine entendu.
Elle s'approcha toujours à quatre pattes du corps étendu et le retourna.
Pas mal de balaffres, un teint cireux, du sans coagulé par-ci par-là... tout ça recouvert de boue, si ce n'était pas d'autre chose...

***

Les yeux de la môme se fixent sur le sang. Sur les plaies.
Ca recommence.
Comme avec la petite protégée du vieux sheriff, là... Méryl.
Ca recommence.Elle a les mains qui tremblent. Elle a la tête qui bourdonne, la môme. Y a quelque chose qui tape là dedans, une petite voix qui grossit, grossit, qui veut sortir... Elle se fout à genoux, se prend la tête entre les mimines et la balance un peu... comme une cloche, voyez, avec la p'tite voix au fond d'elle qui résonne, ouais... ça dure quelques minutes, et puis, elle s'arrête.

Elle se redresse et elle enlève ses mains. Elle a les yeux qui brillent vachement. Un air angélique sur la figure, à mi-chemin entre la béatitude et le crétinisme, voyez. Si y faisait pas si noir, on aurait pu dire que c'était pas la même gamine qui s'était approchée en rampant y avait pas 5 minutes.
Elle regarde à nouveau le corps étendu devant elle, et l'examine, le palpe, l'ausculte...
Et se met à parler tout haut, dans un monologue ininterrompu, un délire de doux-dingue...

... Hein, Papa? Il a pas l'air bien...
oui, ma chérie. Regarde bien, sa respiration? Comment est-elle?
... Sifflante et syncopée, papa...
Bien ma chérie, et son pouls?
... Filant, papa...
Oui ma chérie, c'est bien ça... Quel est ton diagnostique?
... Forte anémie due à la privation de nourriture, et déshydratation importante du sujet...
Parfait, ma chérie... ta prescription?
... Mise sous perf de sérum physio à 5% de glucose pour le réhydrater, et alimentation par sonde gastrique pour commencer... mais on n'a pas le matériel pour ça, papa...
Et oui, ma chérie... c'est dur, pour lui, mais on ne peut rien y faire...
... Oh, papa...
Courage ma chérie... tu sais ce que tu as à faire...
... Oui mais, c'est dur... papa....
Marieke... on ne laisse pas souffrir un animal qui va mourir... ce n'est pas humain, tu le sais...
...
Marieke ?
.... oui, papa ...

Elle a pris un air grave, au fur et à mesure de son discours, la petite dingue. Elle a toujours ce regard vide et fixe quand elle lève son poings armé de métal, et qu'elle l'abat sur la tempe du gars stupéfait au sol. Une fois. Puis deux. Puis encore. Et encore. Comme un putain de métronome. Et toc, et toc, et toc. Elle rythme les dernières secondes de la Vie de son patient avec la régularité d'une trotteuse de pendule de mémé. Elle écrase la tempe, elle broye les os, elle écrabouille un tissu mou et gélatineux... elle en prend plein la tronche, des éclaboussures de tout et de rien... mais elle continue, consciencieusement... avec son air fixe.

Quand les soubressauts du corps se sont arrêtés, elle s'est roulée en boule sur le sol, la môme rouge, à côté du corps... mal de tête qui revient... tremblement de partout... un gouffre...

***

Marieke redresse la tête. La vache, ces éblouissements, ça commençait à bien faire. Le manque de sucre, surement... vlà ce que c'était que de bouffer toujours les mêmes trucs.
Elle regarda autour d'elle. Qu'est ce que... ah merde...

Elle faillit dégobiller en voyant devant elle le spectacle gélatineux du massacré devant elle. Et avoir un haut de coeur le ventre vide, ben la vache, ça vous plie en deux de douleur...
Elle avait du ramper droit sur lui, dans le noir, sans le voir... la preuve, elle en avait plein sur elle, ses fringues, ses poings, son visage... Beurk...

Elle se redressa. Fallait absolument prévenir quelqu'un de sa... euh... "trouvaille"... et en l'absence du vieux briscard, elle allait devoir en parler àa la Dame Baldi...
Elle tourna les talons avec soulagement, bien que la scène sanglante soit toujours dans sa tête, et s'en retourna vers ses compagnons... sachant bien qu'elle devrait surmonter à nouveau son dégoût quand elle retournerait, accompagnée, sur les lieux... en essayant de ne pas avoir de malaise cette fois si possible.

(à suivre)